Chers amis mélomanes,

Déjà le dernier concert de la saison! Mais, pas d’inquiétude, la prochaine s’annonce tout aussi magnifique! Un premier concert sera consacré à des suites d’orchestre et des concertos qu’on pouvait entendre en Allemagne tant dans les Cours aristocratiques que lors de concerts publics ouverts à tous; un deuxième fera entendre des musiques instrumentales italiennes du XVIIe siècle, à la fois virtuoses et désinvoltes; un invité de marque, l’extraordinaire hautboïste Alfredo Bernardini, se joindra à nous lors du troisième concert dans des œuvres signées Albinoni et Vivaldi; et le dernier renouvellera notre collaboration avec la Fondation Arte Musica et le Chœur Saint-Laurent dans le cadre de l’intégrale des cantates de Bach présentée à la salle Bourgie.

Avant de vous retrouver l’automne prochain, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter, au nom de toute l’équipe des Boréades, un magnifique été… tout en musique.

Francis Colpron

 

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[blockquote text=”Une famille, c’est comme un escalier, il faut que les fils commencent à monter où leur père s’est rendu.

Madeleine Ferron
Le Baron écarlate, 1971.
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Les dynasties de musiciens sont nombreuses à l’époque baroque, comme c’était le cas dans les sociétés traditionnelles pour toutes ces familles d’artisans qui se transmettaient leur talent et leur expertise de père en fils et d’oncle en neveu. Qu’on songe à celles des Bach en Allemagne, des Scarlatti en Italie ou encore à celles des célèbres luthiers Amati à Crémone et des Ruckers, facteurs de clavecin à Anvers. En France, à côté des Couperin, figure en bonne place celle des Danican Philidor; descendante d’une famille originaire des highlands d’Écosse – le nom de Danican dérivant sans doute de Duncan –, elle a produit quatorze musiciens pour les institutions royales, dont sept compositeurs, sur plus de cent cinquante ans. De l’avis de Norbert Dufourcq, elle demeure « la lignée la plus méritante et étendue d’artistes ayant servi l’Ancien Régime ».

C’est son premier représentant, Michel Danican, né dans le Dauphiné à la fin du XVIe siècle et arrivé à Paris vers 1620 – il y mourra en 1649 –, qui reçut le nouveau nom qui sera associé dès lors à toute sa famille, celui de Philidor. Légende ou vérité, Jean-Benjamin de Laborde explique dans son Essai sur la musique ancienne et moderne de 1780 son origine : « On prétend que Louis XIII lui avait donné le surnom de Philidor parce qu’un musicien [italien] jouant très bien du hautbois, que le roi avait entendu à son passage en France, portait ce nom et que le roi, en entendant Danican jouer de cet instrument, avait dit : “J’ai trouvé un second Filidori”. » Une autre hypothèse fait dériver le nom de Philidor du mot gaélique filidh, ou de sa forme adjectivale filidheach, désignant les anciens bardes écossais.

Quoi qu’il en soit, à l’exclusion des claviers, les Philidor ont joué avec un égal bonheur de tous les instruments, surtout les vents, dans le cadre de leurs fonctions dans les trois grandes institutions musicales rattachées à la Cour : la Chapelle, la Chambre et la Grande Écurie. Ils y ont côtoyé les membres d’autres familles musicales, comme les Hotteterre, qui contribuèrent à l’évolution de la facture des flûtes et des hautbois, les Pièche, flûtistes de la Chambre – et chanteuses dans le cas des femmes –, ainsi que les Roddes, trompettistes de la Grande Écurie.

Portrait de Philidor « l’Aîné » tenant la Marche Royale de 1678

Né vers 1652 et petit-fils du premier Michel, André Danican Philidor dit l’Aîné entre tout jeune à la Grande Écurie, où il succède à son oncle. Il sera hautboïste dans un corps de mousquetaires et bassoniste à la Chapelle de la reine, avant d’occuper des postes à la Chapelle royale et aux violons du Cabinet, rattachés à la Chambre. En 1684, il est nommé garde de la Bibliothèque de la Musique du roi; ce poste, qu’il assumera seul à compter de 1702, consistait à conserver et faire copier toutes les partitions de musique profane, tant vocale qu’instrumentale, entendues à la Cour depuis François Ier. Ces précieux documents, dont plusieurs ont été perdus au XIXe siècle, constituent aujourd’hui le fondement du corpus musical de la Bibliothèque nationale de France.

André Philidor, qui s’éteindra en 1730, nous a laissé quelques divertissements scéniques, de nombreuses musiques militaires, batteries de tambours, marches de hautbois, fanfares de trompettes et appels de cors de chasse. Des dix-sept enfants de son premier mariage, quatre furent musiciens à la Cour, et parmi les six de sa seconde union figure François-André, peut-être le plus grand musicien de la dynastie, qu’il engendra à soixante-dix ans passés.

Né en avril 1681 et fils d’André, Anne Danican Philidor – son parrain est le duc Anne de Noailles – est hautboïste à la Grande Écurie avant de succéder à son père à la Chapelle. Il collabore un temps avec ce dernier dans son travail de bibliothécaire et il sera également surintendant de la musique du prince de Conti et directeur des concerts de la duchesse du Maine à Sceaux. Son moindre titre de gloire n’est pas la fondation en 1725 des Concerts spirituels, séries annuelles de vingt-quatre concerts publics, les premiers du genre en France, qui remporteront un immense succès jusqu’à la Révolution. On lui doit notamment deux opéras, une pastorale et un livre de six sonates avec basse continue, cinq pour flûte traversière et une pour flûte à bec, mais qui peuvent convenir au hautbois et au violon.

Neveu d’André, Pierre Danican Philidor naît en août 1681. Hautbois et violon à la Chambre et au Cabinet, il est musicien de l’orchestre de l’Opéra en 1720. Ses recueils instrumentaux comprennent des suites à deux traversières sans basse et des suites en trio sans spécification d’instruments – on peut aussi les jouer « en symphonie », c’est-à-dire à plus d’un instrument par partie, comme c’était parfois l’usage.

François André Philidor

Le dernier musicien de la dynastie, François-André, naît en 1726. À six ans, il est page de la Chapelle, où il recueille durant sa formation les conseils du vieux André Campra. En même temps, il s’initie très jeune aux échecs auprès de ses confrères musiciens, jeu pour lequel il développera un génie hors du commun. Quittant les institutions royales, il s’établit à Paris en 1740, pour y vivre de sa plume autant que de ses activités aux échecs. À cet égard, Diderot aime le voir jouer des parties simultanées en aveugle au café de la Régence, et tous deux se lieront bientôt d’amitié, entretenant des conceptions semblables sur l’« illustration des sentiments vrais » en musique. Après la publication de son Analyse du jeu des échecs, paru en 1748 et réédité plus de cent fois depuis en près de dix langues, il se rend aux invitations qu’on lui fait des Pays-Bas, d’Allemagne et surtout d’Angleterre, où il vivra une grande partie de sa vie, avant de mourir à Londres en 1795. Ces voyages sont pour lui l’occasion de rencontrer les musiciens du cru, et il vouera à Haendel une immense admiration.

François-André se consacre exclusivement à la musique vocale, figurant parmi les fondateurs du genre de l’opéra-comique, et son recueil L’Art de la modulation, publié en 1755, contient ses seules œuvres instrumentales : six « sinfonias » en quatuor pour hautbois, ou flûte, deux violons et basse continue. Établie par Telemann dans ses célèbres Quatuors parisiens et reprise en France par des maîtres comme Gabriel Guillemain, l’écriture en quatuor demande que l’intérêt soit toujours soutenu dans le jeu dialogué des solistes, ceux-ci ne partageant pas toujours le même matériau. Bien que relevant d’un style galant préclassique, François-André inscrit ses dons mélodiques dans des formes un peu anciennes, comme en témoignent la presque ouverture à la française qui constitue le premier mouvement du Cinquième Quatuor ainsi que le menuet qu’est l’Andante du même, alors que l’Aria con variazioni rappelle Emanuel Bach.

Un dernière remarque, enfin : on pourra s’étonner de la grande quantité de fugues qui apparaissent dans les œuvres de notre programme. La fugue à la française, que les Philidor semblent avoir affectionnée, est une forme qui, bien qu’obéissant à certaines règles, se tient bien loin de la rigueur de celles de leurs contemporains germaniques. La fugue, pour Rameau, est en effet « un ornement de la musique qui n’a pour principe que le bon goût »…

© François Filiatrault, 2018

 

 

FRANCIS COLPRON ET LES BORÉADES INTERPRÈTENT LES RÉPERTOIRE FRANÇAIS AU TOURNANT DU XVIIIE SIÈCLE

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