Chers amis mélomanes,

En 1528, en pleine Renaissance, Balthasar de Castiglione fait paraître Le Livre du courtisan. Sous forme dialoguée, celui-ci décrit un idéal de vie qui sera suivi dans toutes les cours d’Europe pendant près de deux siècles. En plus de laisser une large place à la musique et à la danse, Castiglione recommande au courtisan de cultiver la sprezzatura, c’est-à-dire une disposition faite d’esprit, de grâce et de désinvolture, disposition qu’on retrouvera dans l’extraordinaire floraison instrumentale des débuts du Baroque.

C’est ce thème que nous vous proposons pour notre concert La Sprezzatura, le 22 novembre 2018 à la Salle de concert du Conservatoire.

Nous espérons vous retrouver en grand nombre!

Francis Colpron

 

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LA SPREZZATURA

D’APRÈS IL LIBRO DEL CORTEGIANO
DE BALDASSARE CASTIGLIONE
(1528)

Vous me demandez d’écrire quelle est, à mon avis, la forme de courtisanerie [cortegiana] la plus convenable à un gentilhomme vivant à la cour des princes, par laquelle il puisse et sache parfaitement les servir en toute chose raisonnable, pour acquérir leur faveur et les louanges des autres; bref, de quelle sorte doit être celui qui mérite le nom de parfait Courtisan, de manière qu’il ne lui manque rien. […]

Je veux que le Courtisan soit fortuné en ce qui concerne les dons naturels et ait par nature non seulement de l’esprit et une belle forme de corps et de visage, mais aussi une certaine grâce et, comme on dit, un air qui de prime abord le rende agréable et aimé de tous ceux qui le voient. Et cela doit être comme un ornement qui harmonisera et accompagnera tous ses actes, et assurera à première vue qu’un tel homme est digne du commerce et de la faveur de chaque grand seigneur. […] Et pour cette raison, je veux qu’il soit bien dispos et bien proportionné de ses membres, qu’il se montre fort, léger et délié, et qu’il sache tous les exercices du corps qui appartiennent à un homme de guerre […], mais surtout qu’il accompagne tous ses mouvements d’un certain bon jugement et de grâce, s’il veut mériter cette faveur universelle qui est si appréciée. […]

Un courtisan du seizième siècle

J’ai déjà souvent réfléchi sur l’origine de cette grâce et, si on laisse de côté ceux qui la tiennent de la faveur du ciel, je trouve qu’il y a une règle très universelle qui me semble valoir plus que toute autre sur ce point pour toutes les choses humaines que l’on fait ou que l’on dit, c’est qu’il faut fuir, autant qu’il est possible, comme un écueil très acéré et dangereux, l’affectation, et, pour employer peut-être un mot nouveau, faire preuve en toute chose d’une certaine désinvolture [sprezzatura], qui cache l’art et qui montre que ce que l’on a fait et dit est venu sans peine et presque sans y penser. […] Pour cette raison, on peut dire que le véritable art est celui qui ne paraît pas être de l’art, et on doit par-dessus tout s’efforcer de le cacher, car, s’il est découvert, il ôte entièrement le crédit et fait que l’on est peu estimé. […] Quel œil est si aveugle qu’il ne voie la disgrâce et l’affectation, et chez beaucoup d’hommes et de femmes qui sont ici présents, la grâce de cette désinvolture nonchalante [sprezzata desinvoltura] qui s’exprime par un mot, par un rire, par un geste, et qui montre que l’on n’attache pas d’importance à ce que l’on a fait et que l’on pense à tout autre chose, pour faire croire à celui qui regarde que l’on ne saurait ni ne pourrait se tromper. […]

Cette vertu donc contraire à l’affectation, que nous appelons pour l’heure désinvolture, outre qu’elle est la vraie fontaine d’où coule la grâce, comporte encore un autre ornement qui, en accompagnant n’importe quelle action humaine, si petite soit-elle, non seulement découvre aussitôt le savoir de celui qui la fait, mais souvent fait estimer ce savoir beaucoup plus grand qu’il n’est en réalité; car il imprime dans les cœurs des assistants l’opinion que celui qui si aisément fait bien, sait beaucoup plus que ce qu’il fait. […] Dans la danse, un seul pas, un seul mouvement du corps fait avec grâce et sans être forcé manifeste aussitôt le savoir de celui qui danse. Si un musicien en chantant émet une seule note finissant avec un doux accent par un grupetto redoublé avec tant de facilité qu’il semble avoir fait cela par hasard, ce seul point permet de connaître qu’il sait beaucoup plus que ce qu’il fait. […]

J’estime, pour les raisons que vous avez dites et pour beaucoup d’autres, que la musique non seulement sert d’ornement au Courtisan, mais aussi qu’elle lui est nécessaire. […] Je ne veux pas cependant qu’il fasse comme beaucoup qui, à peine arrivé quelque part, et fût-ce en présence de seigneurs qu’ils ne connaissent absolument pas, sans se laisser trop prier se mettent à faire ce qu’ils savent, et souvent aussi ce qu’ils ne savent pas, de manière qu’ils semblent ne s’être montrés que pour ce seul motif et que ce soit là leur principale profession. Que le Courtisan fasse donc de la musique comme en manière de passe-temps, et comme si on l’y forçait. Et quoiqu’il sache et entende bien ce qu’il fait, je veux que là encore il dissimule l’étude et la peine qui est nécessaire dans toute chose que l’on veut bien faire, et qu’il montre qu’il a peu d’estime pour cette qualité qu’il possède, mais, en s’en acquittant excellemment, qu’il la fasse beaucoup estimer par les autres. […] Quant au temps dans lequel on peut pratiquer la musique, j’estime que ce doit être toutes les fois que l’homme se trouve en une compagnie familière et aimable, et qu’il n’y a point d’autre chose à faire; mais cela est séant surtout en présence de dames, parce que leur vue adoucit les cœurs des auditeurs et permet à la douceur de la musique de les pénétrer mieux, et qu’elle réveille aussi les esprits de ceux qui la font. […]

Il y a quelques exercices qui peuvent se faire en public et en privé, comme la danse; et je pense que le Courtisan doit avoir égard à cela, parce qu’en dansant en présence de beaucoup de gens et dans un lieu plein de monde, il me semble qu’il lui convient de garder une certaine dignité, tempérée néanmoins d’une élégante et aérienne douceur des mouvements. Et même s’il se sent très léger et qu’il respecte bien le temps et la mesure, il ne doit pas entrer dans ces prestesses de pieds et ces battements redoublés qui sont très bienvenus chez notre Barletta [un très plaisant musicien et un excellent danseur], mais qui seraient d’aventure peu convenables à un gentilhomme. Cependant, en privé dans une chambre, comme nous nous trouvons maintenant, je pense que cela lui est permis, ainsi que de danser les mauresques et les branles, mais il ne doit pas le faire en public, à moins d’être travesti.

C’est pourquoi il est nécessaire que notre Courtisan soit précautionneux dans tous ses actes et qu’il accompagne toujours de prudence ce qu’il dit ou fait; que non seulement il se mette en peine d’avoir en lui des qualités particulières excellentes, mais qu’il ordonne et dispose sa manière de vivre de telle façon que le tout corresponde à ces parties et qu’il veille à n’être jamais discordant avec lui-même, mais qu’il fasse un seul corps de toutes ses bonnes qualités. […] De là vient que la mansuétude est fort merveilleuse chez un gentilhomme qui est valeureux et courageux dans les armes; et de même que cette hardiesse semble plus grande quand elle est accompagnée de modestie, ainsi la modestie croît et se montre d’avantage par la hardiesse. C’est pourquoi parler peu, faire beaucoup, ne pas se louer soi-même de ses œuvres louables, en les dissimulant de bonne façon, accroît l’une et l’autre vertu chez une personne qui sait user de cette manière avec discrétion, et il en va de même de toutes les autres bonnes qualités.

Balthazar de Castiglione, Le Livre du courtisan,
traduction d’Alain Pons
(extraits choisis et agencés par François Filiatrault)

 

 

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