Chers amis,

Le jeudi 23 novembre prochain à 19h30, au Monument-National, nous présenterons la première version scénique de l’opéra Nicandro e Fileno depuis sa création en 1681. Cette pastorale étant encore trop méconnue du grand public, nous vous proposons de prendre connaissance dès maintenant de la note de programme préparée par notre conseiller artistique François Filiatrault. Nous espérons vous retrouver tout bientôt pour cet événement qui s’annonce mémorable.

Musicalement vôtre,

Francis Colpron

 

[vc_separator type=’normal’ position=’center’ color= » thickness=’3′ up= » down= »]

 

 

Paolo Lorenzani, musicien encore très peu connu des mélomanes, naît à Rome en janvier 1640 dans une famille d’artistes. Il est d’abord enfant de chœur à la Cappella Giulia au Vatican, où il apprend la composition auprès d’Orazio Benevoli. Ses premières œuvres sacrées remportent un grand succès dans plusieurs églises de la Ville éternelle; après avoir écrit quelques histoires sacrées, ou oratorios, pour l’Arciconfraternita del Santissimo Crocifisso di San Marcello, il est maître de chapelle de l’église du Gesù et du Collegio Romano, institutions sous l’égide des jésuites.

En 1675, il est maître de chapelle à la cathédrale de Messine, ce qui le fait remarquer par le duc de Vivonne, maréchal de France et vice-roi de Sicile, à qui Louis XIV avait donné pour mission de soutenir les Siciliens contre les Espagnols. Lorenzani écrit pour lui quelques spectacles et divertissements, mais cet engagement ne dure pas, car le duc, malgré ses succès militaires, doit bientôt rentrer en France avec ses troupes. Selon toute vraisemblance, c’est avec ces dernières que Lorenzani débarque sur le sol français en avril 1678.

Louis XIV

Introduit à la Cour, notre musicien gagne sans délai les faveurs de Louis XIV, qui apprécie à ce point un motet de sa plume qu’il le fait exécuter trois fois de suite. Lorenzani achète alors de Jean-Baptiste Boësset, avec l’aide financière du roi, la charge de maître de musique de la Reine. Il doit cependant retourner en Italie en 1679 pour recruter cinq castrats pour la Chapelle royale et il ne prend ses nouvelles fonctions qu’au début de l’année suivante.

En septembre 1681, devant le roi et la Cour, il fait représenter au château de Fontainebleau une courte pastorale italienne intitulée Nicandro e Fileno, composée sur un livret de Philippe-Julien Mancini, duc de Nevers, neveu de feu le cardinal Mazarin et proche parent du duc de Vivonne. Suivront, un an plus tard, une Sérénade en forme d’opéra « mêlée de musique française, de comédie et de musique italienne », écrite en collaboration avec le jeune Michel-Richard Delalande, et Oronthée, une tragédie en musique dans le style français donnée en 1688 chez les Condé à Chantilly.

Après la mort de la reine Marie-Thérèse en juillet 1683, le poste qu’occupe Lorenzani est aboli – Louis XIV ne compte pas se remarier officiellement et son union avec Madame de Maintenon la même année est de nature privée –, mais le roi lui en conserve les avantages. Un peu auparavant, en avril de la même année, il avait participé au concours organisé par tout le royaume pour choisir, à l’occasion du remaniement de la Chapelle royale – la cour vient de s’établir à Versailles –, les quatre sous-maîtres qui officieront par quartier en remplacement de Pierre Robert et Henry Du Mont, mis à la retraite et confortablement pensionnés. Lorenzani figurait parmi les seize finalistes, mais ne fut pas choisi – il semble que des cabales aient avantagé les candidats qui avaient la faveur de Lully.

Il quitte alors la Cour et, après avoir écrit quelques musiques de scène pour le Théâtre-Italien, il se met en 1685 au service des Théatins, un ordre religieux italien qui, à l’église Sainte-Anne-la-Royale, donne, comme dans les oratoires romains, de fastueuses cérémonies ou « saluts » en musique, avec droit d’entrée, qui attirent en « grande foule » le tout-Paris. Mais Lorenzani perd bientôt quelques protecteurs, dont le duc de Vivonne, et certaines commandes officielles lui échappent au profit de Delalande, dont la réputation croît rapidement et qui deviendra le musicien préféré de Louis XIV. Deux ans après avoir publié un livre de motets, qui ne remporte pas auprès du roi le succès escompté, celui qu’on nommait pourtant « l’admirable Romain » regagne en 1695 sa ville natale, où il dirigera et composera pour la Cappella Giulia jusqu’à sa mort en octobre 1713.

Premier opéra en langue italienne représenté en France depuis l’Ercole amante de Francesco Cavalli pour le mariage du roi en 1660, Nicandro e Fileno est une courte pastorale. Il s’agit d’un genre scénique en trois actes qui situe son action dans parmi les bergers et dans les villages de campagne, contrairement à la « tragédie en musique », qui montre, en cinq actes émaillés de nombreuses scènes dansées, des dieux et déesses de la mythologie ou des héros de romans de chevalerie dans des intrigues où entrent en conflit, sur fond de jalousie, de vengeance ou de trahison, l’amour et diverses nobles vertus, jusqu’au dénouement le plus souvent tragique.

Jean-Baptiste Lully avait conçu ce dernier genre, avec son librettiste Philippe Quinault, dans les années 1670, créant l’opéra en langue française et imposant un goût et un style uniques. Il règne alors sur la scène de l’Académie royale de musique et détient un privilège qui lui confère les pleins droits sur la présence de la musique dans tous les théâtres du royaume. Craignant les rivaux et cherchant à tenir l’art italien à l’écart, il a fait tout son possible pour empêcher la pastorale de Lorenzani, mais en vain, le roi lui ayant fait savoir que son privilège ne s’étendait pas à la Cour et ne saurait contrecarrer son bon-plaisir.

Ainsi, à quelques reprises entre le 14 et le 24 septembre 1681, Nicandro e Fileno est donnée « sur un petit théâtre » dressé exprès dans la galerie des cerfs du château de Fontainebleau et composé « de portiques de verdure naturelle et de fleurs, entre lesquelles pendaient plusieurs lustres de cristal ». Dans un mélange de parlé et de chanté qui rappelle Molière, l’œuvre est présentée avec un prologue et des intermèdes, scènes dialoguées jouées en français et en partie improvisées par quelques acteurs du Théâtre-Italien et de la toute nouvelle Comédie-Française, fondée par Louis XIV un an plus tôt.

Ces éléments théâtraux, qui font office de commentaires, ne sont pas essentiels au déroulement de l’opéra proprement dit. Avec un orchestre qui joint aux cordes deux flûtes à bec, instrument pastoral par excellence, l’action développe rondement ses intrigues amoureuses, le récitatif cédant souvent la place à de courts airs et duos qui rendent admirablement toutes les facettes du sentiment amoureux. Dans des chassés-croisés incessants se succèdent promptement et non sans humour tendresse, espérance, dépit, jalousie, inconstance, trahison et bonheur partagé, dans une veine pleine de variété, de souplesse et d’un beau lyrisme. Lully avait peut-être raison de considérer Lorenzani comme un dangereux rival…

© François Filiatrault, 2017

 

Henry Purcell par Karina Gauvin et Les Boréades de Montréal

[vc_separator type=’transparent’ position=’center’ color= » thickness=’15’ up= » down= »]

[vc_separator type=’transparent’ position=’center’ color= » thickness=’15’ up= » down= »]