Avant-propos

L’exubérance baroque animée par Francis Colpron

(ce texte est en lien avec la tournée en Belgique qu’entameront Les Boréades du 1er au 16 février 2014)
Spécialisé dans le répertoire baroque, l’ensemble Les Boréades de Montréal a été fondé en 1991 par Francis Colpron. Il a choisi comme approche une interprétation fidèle, tant par le respect des règles de la pratique ancienne que par l’emploi d’instruments d’époque. La critique et le public au Canada et à l’étranger ont unanimement salué la verve, la spontanéité ainsi que le jeu théâtral, expressif et élégant de l’ensemble, qualités qui témoignent d’une compréhension intime de l’esprit du Baroque.

D’où vient le nom « Les Boréades »?

Les Boréades, Zétès et Calaïs, sont les fils du Dieu du Vent du Nord Borée, lui-même fils d’Eos (l’aurore) et de Astraeos. Ils appartiennent donc à la race des Titans, êtres qui personnifient les forces élémentaires de la nature. Zétès, le plus fougueux des deux fut rattaché à la quête tandis que Calaïs, aux humeurs changeantes, personnifie la mer turquoise.

Le style baroque

Le baroque désigne le style qui naît à Rome, Mantoue, Venise et Florence à la charnière des XVIe et XVIIe siècles et se répand rapidement dans la plupart des pays d’Europe. Il touche tous les domaines artistiques — sculpture, peinture, littérature, architecture et musique- et se caractérise par l’exagération du mouvement, la surcharge décorative, les effets dramatiques, la tension, l’exubérance et de la grandeur parfois pompeuse. Il poursuit le mouvement artistique de la Renaissance tandis que le néoclassicisme lui succède à partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle.

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La musique baroque

[dropcaps type=’circle’ color= » background_color=’#005595′ border_color= »]O[/dropcaps]n distingue habituellement trois séquences à l’intérieur de cette longue période de 150 ans : le premier baroque, marqué par la naissance de l’opéra (sur un sujet profane) et de l’oratorio (sur un sujet religieux), le baroque médian, allant de 1640 à 1690, valorisant le « bel canto » et le concerto grosso, et enfin le baroque tardif où la combinaison de l’harmonie et du contrepoint est portée à son apogée, particulièrement par Jean-Sébastien Bach.

Parlant de la période baroque, on emploie parfois également la dénomination de « période de la basse continue », en ce sens que, contrairement à la musique de la Renaissance où chaque voix a une importance égale, la musique repose ici sur une « basse continue » ou « basse chiffrée », génératrice de l’harmonie. L’interprète est alors chargé, avec une certaine liberté, de réaliser le chiffrage des accords pour accompagner la mélodie et les éventuelles voix intérieures. Cette nouvelle technique va à la fois accroître le rôle des instruments polyphoniques (luth, clavecin, orgue) et la virtuosité des instrumentistes et chanteurs qui pourra s’exprimer notamment dans les variations sur une basse obstinée, dans l’ornementation libre de la mélodie, dans l’improvisation.

Bach, Haendel et Vivaldi sont couramment les premiers noms de compositeurs qui viennent à l’esprit lorsqu’on évoque cette période, bien que Jean-Sébastien Bach était réputé de son temps, bien plus comme organiste virtuose et improvisateur génial, que comme compositeur. À côté d’eux, bien d’autres grandes figures ont marqué ce courant stylistique :…  Johann Pachelbel et G. P. Telemann en Allemagne, Henry Purcell en Angleterre…

Comment caractériser la musique de cette période par rapport aux œuvres de la Renaissance et à celles qui suivront? Mobilité harmonique, variations mélodiques, symbolisme de figures mélodiques pour traduire le sens du texte, dynamique rythmique, contraste de plans sonores, fluidités, contrepoint, jeux imitatifs, sont quelques-unes des facettes propres à cette musique à travers opéras, oratorios, motets, cantates, passions, concertos, sonates, suites, toccatas…

Jean-Sébastien Bach meurt en 1750. Mozart naît en 1756, six ans plus tard.  Les œuvres baroques vont assez rapidement tomber dans l’oubli pour céder la place à celles du classicisme viennois, les fils de Jean-Sébastien Bach assurant d’ailleurs, comme d’autres de leurs contemporains, une sorte de transition stylistique entre ces deux grandes périodes de l’histoire de la musique. L’oubli de la musique baroque n’est cependant ni total ni définitif. De nombreux compositeurs comme Mozart, Beethoven, Mendelssohn, Schumann, Liszt et d’autres ensuite gardent une grande admiration pour les œuvres de Jean-Sébastien Bach, notamment celles pour clavier. La preuve en est le nombre d’œuvres composées en son hommage sur les quatre lettres de son nom : B (si b) A (la) C (do) H (si). Mais c’est surtout dès la deuxième moitié du XXe siècle que la musique baroque va trouver un essor assez imprévisible avant cela. On découvre non seulement les partitions de cette période, mais de grands interprètes et musicologues vont surtout œuvrer à leur restitution sur des instruments d’époque et la plus proche possible des règles d’interprétation de l’époque en fonction des recherches faites dans ce domaine. La musique baroque est en tout cas très populaire actuellement. Qui ne connaît pas le « canon » de Pachelbel, le prélude en do majeur de Bach (support du fameux Ave Maria de Gounod, mais aussi d’une chanson de Maurane), l’Alléluia extrait du « Messie » d’Handel, les « Quatre Saisons » de Vivaldi… ?

Griselda

Le livret choisi était une œuvre fameuse du poète vénitien Apostolo Zeno, inspirée d’une des nouvelles du Decamerone de Giovanni Boccaccio, humaniste vénitien. Avec cet ouvrage conçu comme un antidote artistique et moral aux ravages du lien social en pleine épidémie de peste noire, Boccaccio avait été l’un des premiers auteurs à rompre avec le dogme du déterminisme divin pour affirmer le libre arbitre de l’homme nouveau, maître à part entière de sa destinée. Telle est la morale profonde de l’histoire de Griselda, patiente et aimante épouse du cruel Gualtiéri, exposée par celui-ci à un calvaire d’anthologie. Au travers des épreuves imposées à cet archétype d’épouse fidèle, et derrière l’apparent schématisme d’une relation conjugale fondée sur l’arbitraire masculin et la soumission féminine, Le Boccace cherche à peindre une figure inversée du sexe dit faible, dont la feinte débilitée masquait force et opiniâtreté, témoignant d’une supériorité morale écrasante sur la gent masculine. Les talents de vulgarisation et l’humour des musiciens des Boréades  seront mis à contribution lors de la présentation de Griselda pour le plus grand plaisir des spectateurs.

Acis et Galatée

Acis était un jeune berger de Sicile, fils de Faunus et de la Nymphe Symaéthis. Il fut aimé de la Néréide Galatée « plus blanche que la feuille du troène, plus fleurie que les prés émaillés. Sa taille est plus élancée que l’aulne; son sein a plus d’éclat que le cristal ». Mais le cyclope Polyphème à l’œil unique était son rival en amour. Un jour, il surprit les deux amants sous un abri et écrasa Acis sous un rocher de l’Etna. Inconsolable, Galatée pria les Dieux de transformer le sang pourpre qui coulait du corps de son malheureux amant en un fleuve; les eaux du fleuve se jettent dans la mer proche, Acis viendrait ainsi, pour toujours et à tout moment, la rejoindre. Un fleuve, au pied de l’Etna, porte aujourd’hui son nom et en souvenir de ce berger, les villes voisines de la Riviera des Cyclopes prirent aussi son nom (Aci Trezza, Aci Castello).

© Francis Colpron, 2014.