Quantz est un merveilleux compositeur.

Jean-Pierre Rampal

Les anniversaires offrent de magnifiques prétextes à concerts, et celui-ci convient parfaitement aux Boréades! En 2023, nous commémorons en effet le 250 e anniversaire de la mort, survenue à Potsdam le 12 juillet 1773, de Johann Joachim Quantz, un des plus importants représentants de la flûte traversière au XVIII e siècle, tant par son jeu que par ses compositions et ses écrits.

Quantz en Italie, tableau de Francesco Solimena

Né en 1697 à Obercheden, dans l’électorat de Hanovre, Quantz perd très tôt son père, qui exerçait le métier de forgeron. En 1707, il est pris en charge à Mersebourg par un oncle musicien municipal qui lui montre ses premiers rudiments de musique et qui le confie un peu plus tard à son gendre Johann Adolph Fleischhack, lui aussi musicien. Sous sa direction, durant cinq ans, le jeune homme apprend à jouer d’une bonne dizaine d’instruments – à l’instar de Telemann et de beaucoup de musiciens à l’époque –, tout en se spécialisant dans le jeu du violon et du hautbois. Désirant quitter ses premiers emplois de musicien municipal, Quantz parcourt différentes régions d’Allemagne, à la fois pour perfectionner son art et pour dénicher un poste intéressant où il ne sera pas « le meilleur parmi de mauvais instrumentistes », comme il l’écrira en 1754 dans son Autobiographie.

Quantz, tableau de Johann Friedrich Gerhard, 1735

Lors d’un séjour à Pirna, au sud-est de Dresde, il a la révélation en 1714, comme Bach à la même époque, des concertos d’Antonio Vivaldi, « nouveau genre de musique qui fit sur [lui] une forte impression ». Il s’en procure plusieurs exemples et il avouera que « les splendides ritournelles ont été pour [lui] de bons modèles ». (Mais, quelques décennies plus tard, avec le changement du goût, il estimera que Vivaldi, s’étant trop adonné à l’opéra, était tombé dans la frivolité !) En 1717, il perfectionne sa connaissance du contrepoint à Vienne auprès de Jan Dismas Zelenka, puis il se joint à l’orchestre de la ville de Dresde, capitale de la Saxe et centre musical de première grandeur. Auguste le Fort, électeur de Saxe et roi de Pologne, y entretient une chapelle qui compte en ses rangs nombre d’interprètes et de compositeurs exceptionnels, tant français et italiens que germaniques.

Quantz désire plus que tout en faire partie et, en 1718, il est engagé comme hautboïste dans la Kleine Kammer Musick, ou « petite musique de chambre » du prince. Cette formation de douze exécutants manquant d’un flûtiste, notre musicien se met bientôt, sous la supervision du grand virtuose Gabriel Buffardin, à l’instrument auquel il consacrera le reste de ses jours. Avec ses collègues, Quantz accompagne l’électeur dans ses déplacements entre Dresde et Varsovie, et, à Vienne en 1723, il figure parmi la pléthore de musiciens qui donnent l’opéra Costanza e Fortezza de Fux pour le couronnement de Charles VI comme roi de Bohême. Puis, il obtient de l’électeur un octroi qui lui permettra de parcourir l’Italie, pour peu de temps encore la capitale européenne de la musique. Il arrive au printemps 1724 et, en juillet, il est à Rome, où il étudie six mois avec Francesco Gasparini, jusqu’à ce que ce dernier lui avoue de plus rien avoir à lui apprendre. Quantz visite toutes les grandes villes italiennes, sans négliger aucune maison d’opéra, rencontrant partout les grands compositeurs et les brillants interprètes de la Péninsule, instrumentistes, castrats et cantatrices.

Quantz, tableau anonyme

Au printemps 1726, Quantz est à Paris. Comme beaucoup d’étrangers, il n’apprécie pas l’opéra français, mais c’est la France qui produit depuis trois décennies la première littérature d’importance pour la flûte traversière – les Français avaient perfectionné l’instrument à la fin du siècle précédent et plusieurs compositeurs en avaient révélé toutes les possibilités dans nombre de suites de danses. Quantz n’aura de cesse d’étendre son répertoire hors de France, en adoptant la forme de la sonate à l’italienne, dans l’esprit de ce qui deviendra la style galant. Rappelé à Dresde en 1727, notre compositeur fait néanmoins un long détour par Londres et la Hollande.

Quantz, gravure de Johann David Schleuen, 1767

En 1728, à la faveur d’une visite de l’électeur de Saxe à Berlin, la reine de Prusse, Sophie-Dorothée, engage Quantz à venir deux fois l’an à la Cour pour donner des leçons de flûte au jeune prince-héritier, le futur Frédéric II. Celui-ci, féru de culture et de musique, en dépit des violentes interdictions de son père, le terrible Frédéric-Guillaume I er , dit le Roi- Sergent, pratique la flûte avec passion, et Quantz trouve en lui un élève très doué. À Ruppin et à Rheinsberg d’abord, Frédéric constitue une phalange de musiciens triés sur le volet – parmi lesquels le violoniste Franz Benda et Carl Philipp Emanuel Bach au clavecin –, qu’il engagera officiellement après son accession au trône en 1740. Nommé Compositeur de la Cour, Quantz est chargé de composer pour la flûte royale et d’organiser les soirées musicales à Berlin, Potsdam et bientôt au palais d’été de Sanssouci, les œuvres choisies selon le goût du roi étant jouées en rotation dans un ordre très strict – lui seul pouvant critiquer le jeu du roi. Soucieux de transmettre son art, il fait paraître en 1752, en allemand et en français, un vaste et important traité, Essai d’une méthode pour apprendre à jouer de la flûte traversière, aujourd’hui source d’informations indispensable sur les pratiques et l’esthétique musicales de l’époque, et pas seulement en ce qui regarde la flûte. Notons également que Quantz fabrique lui-même ses flûtes, apportant à l’instrument divers perfectionnements.

Quantz, Essai d’une méthode pour apprendre à jouer de la flûte traversièàre, Berlin, 1752

Répartie en un tiers deux tiers entre Dresde et Berlin, la production de Quantz, qu’on redécouvre avec bonheur, n’a été diffusée que très peu de son vivant, ses compositions, conservées en manuscrits, restant à Berlin le bien exclusif du roi. Elle compte essentiellement près de 300 concertos pour flûte, cordes et basse continue, où il élargit considérablement la forme établie par Vivaldi, quelque 200 sonates pour flûte et basse, une quarantaine de sonates en trio et des œuvres pour flûte sans basse, à destination didactique. Le style de Quantz appartient au baroque tardif de « l’école de Berlin », version germanisée, en plus étoffée, de la manière italienne, qui donnait alors naissance au style galant. Quantz prônait la fusion et le dépassement des goûts italien et français comme base du goût allemand, ce que les Classiques, surtout viennois, réaliseront peu après, détrônant la suprématie italienne. Dans des pages tendres, sereines, joyeuses ou enlevées, notre compositeur montre un sens mélodique remarquable, tant dans l’aplomb et la variété des mouvements rapides de ses Concertos que dans la sensibilité touchante de ses mouvements lents.

Quantz signature

La flûtiste Mary Oleskiewicz a découvert en 2002 à la Sing-Akademie de Berlin un ensemble de six Quatuors pour flûte, violon, alto et basse continue, composés vraisemblablement à Dresde au retour de son Grand Tour, entre 1727 et le début des années 1730. Le genre du quatuor était rarement pratiqué à l’époque et il faudra attendre presque vingt ans encore pour que Telemann ou Gabriel Guillemain ne produisent les leurs, dans une écriture ingénieuse et galante, proche de la conversation. Pour Quantz, fort de ses études de contrepoint auprès de Zelenka et de Gasparini, le quatuor est la « pierre de touche d’un habile compositeur et c’est là où ceux qui ne sont pas encore bien solides dans leur science peuvent échouer le plus facilement ». Dans son Essai, Quantz explique qu’il faut, pour les bien réussir, « un sujet susceptible de quatre parties, une bonne basse fondamentale », des idées mélodiques « agréables » et faciles à modifier selon les principes du contrepoint, un mélange d’instruments où aucun de domine, mais chante de façon autonome, sans partie de remplissage. Ses Quatuors, qui épousent la structure du concerto italien, montrent, en effet, avec leurs thèmes qui s’unissent ou s’échangent, beaucoup d’équilibre et une science contrapuntique déliée qui ne nuit en rien à l’amabilité du propos.

© François Filiatrault, 2023


Le concert Quantz 250 sera présenté le 2 mars 2023 à 19h30 à la Salle de concert du Conservatoire.