Le 4e et dernier concert de la 18e saison des Boréades, Bagliano invité, sera présenté le 22 mai  prochain à 20 h à la salle Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal. Se joindra aux musiciens des Boréades Stefano Bagliano, musicien et directeur du Collegium pro Musica (Gènes).

Nous publions disponible préalablement le texte rédigé par François Filiatrault qui accompagne le concert Bagliano invité.  Bonne lecture!
Direction des communications, Les Boréades

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[dropcaps type=’circle’ color= » background_color=’#005595′ border_color= »]B[/dropcaps]ien que les pays germaniques aient, avant 1700, donné naissance à de nombreux grands musiciens, il faut attendre le XVIIIe siècle pour que l’Allemagne prenne vraiment conscience de son importance sur le plan musical. Et ce n’est pas un mince paradoxe que ce sentiment national se soit d’abord développé non sur un principe d’opposition à l’étranger, mais bien à partir de l’intégration des deux styles musicaux qui se partageaient l’Europe d’alors, l’italien et le français.

Depuis plus d’un siècle, les Italiens favorisaient la voix et le violon, cultivaient tant la mélodie sensible et expressive que la virtuosité la plus débridée, et leurs traits frisaient parfois l’extravagance. Les Français, qui avaient perfectionné la flûte à bec, la traversière et le hautbois, proposaient, quant à eux, une musique vive, tendre, concise, avec les formules rythmiques variées qui caractérisaient de nombreux types de danses. Les compositeurs des autres pays écrivaient selon les circonstances dans l’un ou l’autre style, mais vers 1710 l’idée de leur fusion devient la base d’un programme esthétique d’envergure. Certes, la « réunion des goûts » était chère aux musiciens français eux-mêmes, mais ce sont les maîtres allemands qui la mèneront à bien. Ainsi Joachim Quantz écrit en 1752 dans son traité de flûte que « lorsqu’on sait faire un choix juste parmi les goûts musicaux d’autres peuples, il en résulte une sorte de goût mitoyen », et que « c’est un goût de ce genre que l’on peut, sans immodestie, appeler aujourd’hui le goût allemand ».

À l’aube du XVIIIe siècle, les Allemands écrivent donc des sonates, des sonates en trio et des concertos italiens, ainsi que des suites de danses à la française précédées, à l’orchestre, d’une ouverture dans le style de Lully. Le goût mélangé se présente au départ comme une juxtaposition, mais bientôt on intègre dans les compositions types des caractéristiques du style rival. Conjointement, les genres s’affirment, sans compter que des éléments rythmiques et mélodiques issus des musiques populaires germaniques et polonaises ajoutent parfois des saveurs locales très appréciées.

Il est difficile de dater avec précision la composition par  [highlight color= » background_color=’#005595′]Johann Sebastian Bach[/highlight] de sa musique de chambre. Elle s’inscrit dans deux périodes pendant lesquelles le compositeur délaisse la musique sacrée, celle d’abord du séjour à Coethen, entre 1717 et 1722, puis celle, de 1729 à 1740, pendant laquelle il dirige les activités du collegium musicum de Leipzig – fondé par Telemann en 1702.

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La Sonate en trio pour 2 traversières et basse continue en sol majeur BWV 1039 – transcrite ici en si bémol pour deux flûtes à bec – date probablement de la période de Coethen. Vers 1740 , Bach en a tiré une autre version dans la même tonalité, la Sonate pour viole de gambe et clavecin BWV 1027, confiant alors une des deux parties de dessus à la main droite du claveciniste et l’autre au gambiste une octave plus bas. Comme dans toute son œuvre, Bach montre dans cette rare sonate en trio une richesse harmonique et une densité d’écriture qu’on chercherait en vain chez ses contemporains. Mais jamais cette science contrapuntique tout à fait unique ne porte ombrage à un sens élevé de l’expression.

Mise sur pied au siècle précédent par Arcangelo Corelli, la sonate en trio reste le genre majeur de la musique de chambre du temps – un genre toutefois que Bach a très peu pratiquée. Sa forme classique se fixe après Corelli en quatre mouvements alternativement lents et vifs. À côté de son immense production vocale, [highlight color= » background_color=’#005595′]Georg Friedrich Haendel[/highlight] en laisse une vingtaine pour violons, flûtes ou hautbois, qui développent considérablement le modèle de Corelli. S’y manifestent tant sa générosité mélodique incomparable que sa connaissance du contrepoint.

La chronologie de la musique de chambre de Haendel est loin de faire l’unanimité, et les éditions qui sont parues du vivant du compositeur ne sont pas d’un grand secours pour établir leur année de composition. Ainsi, les six Sonates en trio de l’opus 2 auraient été écrites, pour certains, entre 1712 et 1720, en Angleterre donc, mais elles pourraient dater, selon d’autres spécialistes, de la jeunesse du musicien et avoir été composées avant ou au début du séjour italien, soit vers 1707… Quoi qu’il en soit, elles ont été publiées de façon pirate à Amsterdam par Jeanne Roger en 1722, puis à Londres par John Walsh une dizaine d’années plus tard; la première Sonate du recueil passe dans la seconde édition de la tonalité de do mineur à celle de si mineur, transcription faite par le compositeur.

Ce qui ressort cependant de la musique de chambre de Haendel, c’est qu’elle constitue un véritable réservoir de matériaux thématiques, auquel il recourt fréquemment. Il réutilise souvent, en effet, des mélodies qu’il aime particulièrement — les siennes comme celles d’autres compositeurs — dans des arias, des mouvements de concertos ou des chœurs, leur donnant plus de souffle et une ampleur nouvelle.

[blockquote text=’Telemann compte sur le plaisir musical tant des amateurs de talent que des professionnels; il avoue dans un de ses écrits vouloir le plus souvent donner « à chaque instrument ce qui lui convient »…’ text_color= » width=’75’ line_height=’undefined’ background_color= » border_color=’#005595′ show_quote_icon=’yes’ quote_icon_color= »]

Contrairement à Bach et à Haendel, la musique de chambre occupe une place très importante dans l’œuvre de [highlight color= » background_color=’#005595′]Georg Pilpp Telemann[/highlight] et couvre toutes les périodes de sa carrière. Il connaît tous les instruments de son temps et ses publications, qui ne présentent qu’une faible partie de sa production, ne cachent pas leur visée pédagogique. Telemann compte sur le plaisir musical tant des amateurs de talent que des professionnels; il avoue dans un de ses écrits vouloir le plus souvent donner « à chaque instrument ce qui lui convient », afin que chacun y trouve son compte. Cela n’empêche pas les substitutions, comme le confirme Gilles Cantagrel : « On voit souvent Telemann proposer la flûte à bec, universellement pratiquée, comme alternative aux parties de violon, de hautbois ou, plus curieusement, de basson, de sa musique de chambre. » Par-dessus tout, Telemann veut permettre à chacun de briller et d’émouvoir, de s’entretenir et de converser avec ses complices au moyen de l’art des sons.

Parmi ses compositions à un dessus et basse continue figurent les six Partitas publiées sous le titre de Die kleine Cammer-Music (La petite musique de chambre) à Francfort-sur-le-Main en 1716. Le recueil, « arrangé de façon légère et chantante, [et qui] peut aussi bien servir d’exercices aux étudiants que de morceaux de bravoure aux professionnels », propose six suites de courts mouvements, souvent des danses vives, marquées par le contraste.

Telemann pratique la sonate en trio avec bonheur. Comme Haendel, il amplifie le travail de Corelli dans une grande liberté de forme. Il reconnaît cependant ce qu’il doit à son modèle dans ses six Sonates corellisantes pour deux violons et basse continue publiées à Hambourg en 1735; le nombre des mouvements de chacune, supérieur à quatre, et l’usage de la fugue renvoient aussi à l’illustre Italien.

La composition de quatuors, encouragée par Quantz, reste cependant l’activité préférée de Telemann dans le domaine. Il les écrit le plus souvent à trois dessus et basse continue (les Quatuors parisiens sont toutefois à deux dessus et deux basses). Les plus connus demeurent sans doute les trois qui prennent place dans les trois « productions » de sa Musique de table, publiées à Hambourg en 1733 avec un grand succès. Une inventivité formelle et mélodique incomparable, une élégance racée annoncent le style galant et le futur classicisme.

© François Filiatrault, 2014

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