Contrairement à l’Italie et aux pays germaniques, qui comptèrent jusqu’au XIXe siècle une myriade de capitales et de centres artistiques, la France a établi très tôt, sous l’impulsion de Richelieu puis de Louis XIV, son unité politique. Par voie de conséquence, les arts et la musique sont, dès 1660 environ, centralisés et mis au service d’une conception monarchique absolue. C’est de Versailles, où il s’établit officiellement en 1682, que le Roi-Soleil gouverne le royaume. Lieu de résidence de la Cour, ce palais, ainsi que la ville qui se construit lentement tout autour, est situé non loin de Paris. Ainsi, les artistes, les écrivains et les musiciens qui feront la grandeur du siècle se partagent entre la capitale et Versailles. Ces derniers auront une résidence à la ville et très souvent une charge à la Cour : ils sont musiciens de la Chambre, de la Chapelle ou de la Grande Écurie.

Concert dans un jardin, gravure de Bernard Picart, 1709

En plus de sa propre gloire, Louis XIV eut trois passions : les femmes, les bâtiments et la musique. Au cours des quelque vingt-cinq dernières années de son interminable règne, les deux premières pâlirent, l’une à cause de l’âge et de l’esprit de dévotion imposé à la Cour par Mme de Maintenon, son épouse morganatique, l’autre à cause des guerres et des importantes difficultés économiques qui affligeaient le royaume. La musique, qu’il a étudiée dans sa jeunesse, le réconforte cependant jusqu’à ses derniers jours, ceux-ci affligés de terribles maux de santé. Il aime ses musiciens, s’entretient volontiers avec eux et les choisit avec soin : il suit les travaux de Delalande à la Chapelle royale, Robert de Visée joue pour lui de la guitare tous les soirs « sur les neuf heures », Couperin écrit pour lui ses Concerts royaux, Marais est son violiste préféré et il encourage Élisabeth Jacquet, enfant prodige, dès ses premières compositions…

Né à Paris en 1668 dans une famille de musiciens, François Couperin tient un temps l’orgue de la Chapelle royale à Versailles et il enseigne le clavecin à quelques princes et princesses du sang. Musicien par excellence de l’intimité, Couperin confie au clavecin un discours poétique absolument original; comme le dit  Pierre Citron, il trouve dans l’instrument « cette alliance de la précision et du mystère qui convenait le mieux à son génie ». Entre 1713 et 1730, il publie quatre livres de pièces diverses, coiffées de titres parfois énigmatiques, et un traité pédagogique, L’Art de toucher le clavecin. Pour rendre l’instrument susceptible d’expression, il prévoit tous les ornements — ils sont comme une poudre d’or entre les lignes musicales — et donne des indications très précises pour la belle exécution. C’est par le terme d’« ordre » que, pour des raisons restées mystérieuses, Couperin désigne ses suites de pièces pour clavecin, regroupant danses, portraits et pièces de caractère tour à tour poétiques, rêveurs, lyriques ou ironiques.

Violiste préféré de Louis XIV, Marin Marais naît à Paris en 1656 d’un père cordonnier. D’abord enfant de chœur à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, il semble avoir entrepris très tôt l’étude de la basse de viole et son seul maître en fut brièvement Jean de Sainte-Colombe. En 1676, il est engagé dans l’orchestre de l’Académie royale de musique, devenant alors l’élève de Jean-Baptiste Lully pour la composition, et il est trois ans plus tard « ordinaire de la Chambre du Roi pour la viole ». C’est à cette époque qu’il commence à composer pour son instrument, dont il sera le plus important représentant. Marais est avant tout poète : sa sensibilité, rendue par les inflexions issues du chant et parfaitement transposées à son instrument, son émotion retenue mais toujours présente, son exotisme parfois et son ingéniosité pleine de tendresse dans l’évocation des caractères le font ranger sur le même plan que François Couperin

Élisabeth Jacquet de La Guerre, surnommée en son temps « la merveille de notre siècle », naît en 1665 à Paris dans une famille de musiciens. Enfant prodige, elle est vite remarquée par Louis XIV lors de concerts où elle chante et joue du clavecin devant la Cour. L’attention royale dont elle est l’objet depuis son jeune âge, elle n’aura de cesse de la signaler à ses admirateurs, dédiant toutes ses publications, sauf une, au Roi-Soleil. En 1685, elle fait donner dans les appartements du Dauphin une pastorale devant le roi et celui-ci réclame quelques reprises de l’œuvre dès les jours suivants. Deux ans plus tard, notre musicienne publie un premier livre de pièces pour le clavecin; le Mercure galant nous informe que celui-ci a reçu l’ouvrage « avec cet air obligeant qui lui est ordinaire » et qu’il a déclaré « qu’il ne doutait point qu’[il] ne fut parfaitement beau ». Élisabeth Jacquet épouse Marin de La Guerre en 1684, et, ne pouvant du fait de son sexe occuper aucun poste ni à la Cour ni à l’Église, elle mène une carrière indépendante, vivant de son art et de l’enseignement, faisant figure d’avant-garde sur le plan du statut social du musicien.

Concert dans un jardin, gravure de Bernard Picart, 1709

Lui aussi membre d’une famille musicienne, Anne (prénom masculin) Danican Philidor, né à Paris en 1681, était hautboïste et violoniste de la Grande Écurie, de la Chapelle et de la Chambre. Il compose peu, réservant son activité au poste qu’il occupe avec son père, André Danican Philidor, à la Bibliothèque de la Musique du roi, qui a la charge de recueillir toutes les musiques composées en France depuis le règne d’Henri IV. Il fut également directeur des concerts de la duchesse du Maine et surintendant de la Musique du prince de Conti. Plus important, il fonde en 1725 le Concert spirituel, première institution de concerts publics d’importance en Europe et qui fermera ses portes à la Révolution.

Né vers 1680, Jacques Hotteterre compte parmi les premiers virtuoses de la flûte traversière, instrument nouvellement perfectionné par des membres de sa propre famille. Il rapporte d’un voyage en Italie, où il subit l’influence de Corelli, son surnom de Le Romain. Hautboïste et bassoniste de la Grande Écurie, musicien ordinaire de la Chambre, il cultive la sonate et la suite, mais avec une délicatesse teintée d’harmonies italiennes. Il fait paraître son Troisième Livre en 1712 et le dédie au duc d’Orléans, qui deviendra régent du royaume à la mort de Louis XIV trois ans plus tard.

Joseph Bodin de Boismortier appartient au siècle de Louis XV. Né à Thionville, en Lorraine, en 1689, il s’établit à Paris vers 1723. On ne lui connaît aucun maître, mais on sait qu’il apprit tôt le violon et la flûte, et cette dernière est restée son instrument préféré. À Paris, sa fécondité et sa réputation sont telles qu’à aucun moment il ne fera appel à la protection des grands; il n’occupera aucune charge officielle, figurant en bonne place parmi les très rares musiciens du XVIIIe siècle à avoir pu vivre, et bien vivre, semble-t-il dans son cas, uniquement grâce aux fruits de leur plume. Son œuvre est très variée; à côté de quelques cantates et motets, Boismortier écrit pour tous les agencements possibles d’instruments, comme en témoignent des pièces à deux violes et des sonates pour deux bassons, pour trois et cinq flûtes sans basse ou « pour une flûte et un violon par accords sans basse » – le violon accompagne la flûte en jouant des accords en doubles et triples cordes.

© François Filiatrault, 2022


Le concert Jouvence pour un roi fatigué sera présenté le 10 avril 2022 à 15h à la Salle de concert du Conservatoire.